Berserk et Pyrrhia - 2025

Cur. Céline Poulin et Camille Minh-Lan Gouin, Frac île-de-France, Paris, France.

L’image du berserker, guerrier légendaire, a enfanté nombre de rejetons au cinéma, dans les jeux vidéo, les mangas ou le rap. Dans de nombreux mythes, le berserker est connecté à la terre, à l’animalité, avançant sans armure. Dans l’oeuvre de Kentarō Miura, c’est par son armure que Guts devient un berserker. Les dessins magistraux qui animent l’histoire de ce manga sont gorgés de références médiévales européennes, qu’elles soient directes ou inspirées de chefs-d’oeuvres du XIXe siècle médiévaliste, aux teintes noires et obscures.
       Pyrrhia, lui, est un papillon qui a donné son nom à une île imaginaire, décrite dans les livres Les Royaumes de feu (Tui T. Sutherland), où règnent des dragons doués de raison, dépeuplée d’humains, on y croise pourtant de petits êtres marchant sur deux pattes avec une touffe de poils sur la tête, nommés charognards. Plus précisément, ce papillon Pyrrhia umbra est aussi appelé “La Chrysographe”, noms des écrivains réalisant les enluminures dans les grimoires.

Cette imagerie d’heroic fantasy moyenâgeuse de la pop culture habite les univers des artistes d’aujourd’hui. Le regard décentré de l’humain qui y règne leur ouvre un autre abord du futur. Dans les œuvres contemporaines exposées au Plateau et aux Réserves, le retour à la terre, les paraboles magiques ou les cabanes de paille, les animaux et insectes humanisés, enchantés ou maléfiques, apparaissent tour à tour comme des fantasmes ou des craintes dans un monde noyé d’incertitudes. L’apocalypse, motif récurrent de l’art médiéval, et son bestiaire monstrueux ou rêvé ne sont pas en reste. L’amour, l’amitié et les relations sociales s’imprègnent de ces modèles anciens distordus par le regard contemporain. Le plaisir de la récupération et du do it yourself s’impose pour des matériaux moins polluants et plus responsables.
       L’exposition Berserk & Pyrrhia* rend visible la circulation des images médiévales et leur appropriation postérieure et fait se rencontrer l’art médiéval et l’art contemporain. Des œuvres médiévales prennent place au Plateau et aux Réserves, grâce à des prêts issus des riches collections patrimoniales franciliennes**, tandis que des œuvres d’artistes contemporains partent à leur tour à la rencontre du patrimoine médiéval en venant investir les monuments historiques de la région, pour poursuivre ce dialogue intergénérationnel et transhistorique.

Dans un diptyque entre Le Plateau et Les Réserves, l’exposition déploie différentes formes d’hybridation. Au Plateau, dans l’esprit de Berserk, et en faisant référence à l’interprétation dix-neuvièmiste de l’époque médiévale, plus mystique et romantique, les œuvres nous entraînent dans un cheminement obscur et sombre. Aux Réserves, elles puisent leurs références dans le merveilleux, les créatures anthropomorphes, le bestiaire médiéval. Elles nous transportent ainsi dans le monde de Pyrrhia, soulignant la place importante de l’artisanat et du lien à la communauté.


"Òme d’Aiga", 2023, Installation, bois, peinture, acrylique, roseaux, vidéo. Dimensions variables
Cette installation, mêlant sculpture et vidéo dont le graphisme rappelle les jeux vidéo, nous plonge dans l’histoire d’Òme d’Aiga (l'homme de l'eau). Selon cette légende, un garçon s’enfonce
dans les eaux froides pour échapper à ses harceleurs, et arpente depuis les marais et les forêts. En transposant ce mythe moyenâgeux dans un monde virtuel, Corentin Darré rend visible la stigmatisation de ceux qu’on qualifie de monstres ainsi que la marginalisation de communautés invisibilisées. photo 

Photographies : © Martin Argyroglo

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