"Il était un marais, qu’hommes et femmes des alentours essayaient d’éviter. C’est pour son calme que cet endroit était devenu le terrain de jeu d’un garçon nommé Tomàs. Tomàs n’était pas si différent des autres garçons de son âge mais n’arrivait pourtant pas à s’intégrer à ses pairs. Perçu trop faible, trop maniéré, par les autres du village, on le moquait, le bousculait.
« - Le marais est dangereux, loin de l’eau tu dois rester » lui répétait sa mère. Mais Tomàs parcourait tous les jours les quelques lieux qui séparaient sa chaumière de cet endroit. Il longeait les bords des rives, sautait de berges en berges, combattait crapauds, mouches et libellules, en évitant l’eau noire et fumante du marais. Il créait son royaume dans lequel il était tour à tour chevalier, princesse ou sorcier.
Au détour d’une de ses aventures, Tomàs entendit des enfants au loin chahuter. Il se réfugia dans un fagot de roseaux et ferma les yeux en attendant qu’ils passent. Au plus les cris des enfants s’approchaient, au plus son cœur tentait de s’échapper de sa poitrine. Il rouvrit les yeux, ils étaient là, un sourire cruel à leurs lèvres, leurs ceinturons battant l’air prêts à porter coup. Il referma les yeux. Une des boucles vint lui frapper la tempe droite. La douleur était vive mais il ne lâcha aucun cri. Dans l’oreille qui avait accusé le coup, un sifflement sourd retentit. Il sentait son corps basculer vers l’arrière, tentait en silence de s’accrocher aux roseaux, les yeux toujours clos. Bientôt son corps fut avalé par la vase sombre et chaude.
Sa peau brûla si fort qu’il s’endormit. Les enfants au loin rigolaient. Son corps fut emporté au fond du marais. L’histoire ne raconte pas par quel miracle ou malheur l’enfant survit mais qu’il se réveilla, la chair à vue. Sa peau brûlée se détachait, ses guenilles avaient disparu, vers les roseaux, il remontait. Sa main toucha la berge et c’est non sans douleur qu’il parvint à monter sur celle-ci. Il ouvrit enfin les yeux et mit des heures à ramper jusqu’à un cours d’eau propre. Une fois atteint l’eau claire, il aperçut dans son reflet une bête immonde et calcinée. Il s’y plongea entièrement pour laver ses brûlures, étreignant de ce fait le monstre qu’il était devenu.
Au village jamais il ne retournerait, sa mère l’avait prévenu de se méfier de l’eau, maintenant jamais plus il ne la reverrait ou du moins pas comme cela, juste la chair sur les os. Tout seul il vivrait, jamais le village il ne reverrait. « - Ma mère pleurera ma mort, sans jamais enterrer mon corps. Jamais le village ne me reverra, je préfère pourrir ici plutôt qu’ils me voient » cria Tomàs.
Les années ont passé, jamais le garçon ne fut retrouvé. Ses bourreaux ont grandi, se sont attaqués à d’autres gringalets. Depuis on raconte qu’un Drac hante ce marais là, mi humain mi démon, leur monstre c’est Tomàs, qu’il hante les groupes d’enfants trop près des roseaux, qu’on aperçoit sa main tendue vers le haut. Attendant que tombe sa proie, un enfant qui par mégarde se serait approché trop près. Mais la main de Tomàs n’est pas tendue pour capturer mais pour appeler à l’aide.
À cet enfant qui a préféré vivre seul qu’être regardé comme un monstre.
À tous les autres, avec qui personne ne jouait.
Aux mains tendues que personne ne veut attraper."