Never kill a boy on the first date - 2021

Galerie du Crous, Paris, France.

Peut-être vous êtes-vous déjà pris au jeu de la violence, caché derrière un avatar ou un ordinateur ? Dans une société où le numérique prend pas à pas le dessus sur la réalité, Corentin Darré nous embarque dans une fiction pour nous jeter dans la gueule du loup, ou plutôt celle de Dunstan, son protagoniste. Sur fond d’histoires romantiques, de contes et de mythologies contemporaines, ce sont de problématiques bien actuelles dont il s’agit. « Never kill a boy on the first date » est inspiré très librement d’une légende médiévale, celle de Dunstan et de Lucifer. Deux hommes amoureux, interagissant par le biais d’avatars sur une plateforme inconnue, nous invitent à nous promener avec eux dans un monde de tous les possibles, de toutes les formes, horizons, et identités. L’artiste prend le parti de l’ambiguïté et emmène nos réflexions dans un microcosme où personne n’est jamais réellement maître de ses propres choix.
        À l’orée d’un bois, un petit homme prénommé Dunstan nous invite à nous asseoir sur un tronc à ses côtés. Au fur et à mesure que sa langue se délie, il nous chuchote son histoire d’amour dangereuse avec Lucifer. Un peu plus loin dans l’espace d’exposition, on aperçoit un « D + L » gravé sur la surface craquelée d’un tronc d’arbre. Corentin grave au couteau leur amour : les fleurs bleues n’ont pas leur place ici. La relation de ces deux hommes, charnelle et agressive, nous mène au cœur des réflexions de l’artiste autour de l’amour, la sexualité et la violence. Folklore actualisé et mis en scène au cœur d’un univers tantôt virtuel, tantôt physique, cette histoire d’amour nous téléporte sans transition d’un Night Club à une chaumière médiévale. La vidéo comme catalyseur du récit, la parole de Dunstan pour introduire une réflexion, et enfin les décors pour nous plonger dans une autre dimension: les aller-retours entre l’espace d’exposition et les images de synthèse n’ont de cesse de nous ramener au monde de Dunstan et Lucifer.
        Corentin pense ses images et sculptures comme les éléments clefs de la narration ou comme éléments de décor permettant l’immersion du spectateur, tel le Fusil de Tchekhov, ou cet élément étrange dans le jeu vidéo qui attire l’œil inexorablement. Le réalisme de cet élément nous souffle que sa présence n’est pas anodine qu’il est placé là pour une bonne raison.
        Dans « Never kill a boy on the first date », chacune des pièces a cette fonction. Cornes aiguisées, sabots ferrés, pierres presque chaudes, bougies presque vraies. L’artiste n’ira pas jusqu’à invoquer le malin dans l’espace d’exposition, mais un vocabulaire de formes multiples, emprunté on-ne-sait-où, peut-être à un décor de fête foraine ou à un donjon sexuel. Quoi qu’il en soit, il ne manquera pas de nous happer. Aussi, si l’aspect « homme-enfant » de Dunstan vous attendrit, il ne faudra pas s’y méprendre. Comme la rose qu’il tient entre ses mains, il charme tout comme il pique. Les codes de cette promenade bucolique sont strictement dictés, et le champêtre sera vite oublié au profit de la douleur de ces deux personnages torturés. De cette fausse naïveté, on touche à de profonds questionnements. « Never kill a boy on the first date » aborde la toxicité des relations, envisage de nouvelles identités dans une hétérotopie où il est possible d’incarner ce que l’on souhaite, un homme, une femme, un vampire ou encore un diable. « Never kill a boy on the first date » plonge tout droit dans les questions relatives à la masculinité hégémonique, en nous présentant des personnages aux plaies béantes et aux failles apparentes. « Never kill a boy on the first date » fait le constat d’une société où les relations virtuelles ont cette ambivalence, d’être à la fois une échappatoire et une chute en enfer. Comme une chair à vif, tout juste fouettée.

Quentin Fromont

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