Le point de départ de « Chagrin" est une nouvelle écrite par l’artiste, "Avant que les champs ne brûlent", dans laquelle il imagine l’histoire d’un couple homosexuel accusé à tort d’être responsable d’une sécheresse. Emprunt de multiples références cinématographiques — des westerns futuristes « Interstellar" (Christopher Nolan, 2014) ou la série « Westworld" — le village qu’il dépeint, au milieu des champs de maïs, devient le théâtre contemporain de la violence et du deuil, entre homocide et écocide.
Dans "Je brûle pour toi", 2024 et "À tes risques et périls, 2024", il recompose par bribe les éléments du décor : la façade des maisons en bois brunies par le temps, l’enseigne du troquet, l’interphone et la boîte aux lettres, dans lesquels il dissémine des messages de menace ou d’amour. Par ce recours, il croise l’esthétique des slashers états-uniens des années 1990 à l’ambiance cheesy des romances d’amour, et permet l’accentuation de la tension dramatique par palier. Au fil des toiles incrustées, dans de petites fenêtres ou entre les planches d’une grange ("Première poignée de terre", 2024), on peut apercevoir des séquences de la vie des deux amants : étreinte, sommeil, attaque, larme et funérailles. Par ces courts aperçus, l’artiste interroge le voyeurisme qui se déploie dans l’expérience de l’observation, questionnant les rapports cathartiques entre le spectateur et l’image.
L’esthétique photographique héritée du jeu vidéo, amène la représentations à des postures figées, parfois théâtralisées, volontairement exagérées : la main sur le chapeau du cow-boy esseulé ou l’ombre des accusateur.ice.s avec les fourches brandies (La mort est dans le pré, 2024). Vernies par la résine, apposée sur les toiles comme un écran, l’artiste confère une texture à la fois lisse et luisante aux œuvres, à l’instar des images numériques. Ce matériau, tout en apportant une dimension tactile et érotique, joue sur l’idée de l’image qui se fige dans un état de désir et de secret. En utilisant la figure du cow-boy, Darré prend appui sur une cosmogonie hollywoodienne par un biais queer à la manière du "Secret de Brokeback Mountain" (Ang Lee, 2005) ou des "Lonesome Cowboys" (Andy Warhol, 1968), des histoires de désir et d’interdits, terribles ou parodiques. En révisant ce personnage symbolique, hétéronormatif, comme fétiche gay, il questionne l’existence des corps minorisées en milieu rural et interroge, en creux, une dimension sociale et politique white trash. Ainsi, Darré invite à entrer dans le territoire fictionnel et propose une expérience à l’envers du décor.