« Ça fait des centaines d’années que je fais cet effet-là, je devrais m’y habituer. Mais non, c’est toujours aussi satisfaisant de voir la peur dans vos regards. C’est vrai que je ne suis pas toute fraiche. Enfin c’est ce que vous voyez de moi, ou ce que vous sentez. Je suis repoussante. Tant mieux, c’est tout ce que je souhaite. Même si parfois j’aimerais bien que lorsque je vous souris, vous me rendiez mon sourire. On m’a inventée pour que les enfants se tiennent à l’écart des marais. On a façonné mon corps, mes dents, mon nez, de telle sorte que personne ne m’approche. On m’a traité de tous les noms, selon les époques. Ce siècle-là n’est pas si pire. C’est mieux d’être « la marginale » plutôt que la « Marie Grauette tueuse d’enfants ». Mon marrai je ne le trouve pas si mal. Je m’y sens mieux depuis qu’ils ont installé la fibre et une antenne 5G dans les champs d’à côté. Ça éloigne les mouches et les moustiques. Depuis ça, je peux me connecte beaucoup mieux. Au moins je peux exister ailleurs, dans d’autres mondes. C’est étrange comment être une sorcière en ligne est beaucoup plus stylé que dans la vraie vie. Vous, les hommes, vous êtes maintenant plus impressionnés par les gros nibards de mon avatar que de me voir voler mon vieux corps sur un balais au-dessus de vos villages. Tant mieux, je me fais trop vieille maintenant pour les airs. Avant, j’aidai les femmes à avorter, quitte à bruler sur un bucher. Aujourd’hui j’aide leur mari à décharger leurs pulsions, avec comme seul risque de me faire hameçonner, spammer ou hacker mon avatar. Vous l’aurez bien compris, je suis bien plus pénarde dans ce siècle. Mais si un jour vous croisez mon regard, au détour d’un marrai, j’espère bien vous foutre la pétoche de votre vie. »