Dix ans après sa fermeture pour travaux et rénovation, l'iconique "Cabinet institut", ancien Muséum national d'Histoire naturelle de la ville de Paris, réouvre enfin ses portes au public avec une manifestation d’ampleur : une exposition qui présente une cinquantaine d’artistes et de projets internationaux, répartie sur deux façades de 10 étages, 60 salles et un rooftop, le tout sur une surface totale de 3 m².
Ce défi curatorial s’accompagne d’une volonté de refonte de la politique de l’institution, un geste fort de la direction qui entend « penser grand en faisant minuscule » et « faire collectif sans risquer la rencontre », abordant avec radicalité les notions d’écologie de l’attention et d’économie de moyens, si chères au champ culturel.
S’inspirant des modèles d’institutions fictionnelles de Marcel Broodthaers (1) et de Wesley Meuris (2), comme critique des dynamiques de pouvoir des structures muséales et pour l’inventivité de leurs dispositifs artistiques, les membres du comité scientifique et l’équipe se sont réuni·es pendant 80 jours à l’intérieur du "Cabinet". Leur objectif : définir les grandes orientations stratégiques et la vision artistique du lieu à l’horizon 2025-2026.
De cette réflexion en huis-clos est née une première exposition où « rien ne se donne à voir ». Cachée aux regards des visiteur·euses, chaque porte du "Cabinet" dissimule une proposition, que seule une clé d’accès, confiée à un·e médiateur·ice, peut dévoiler. Tour à tour stockage, bureau, scène, cachette, les 60 salles du "Cabinet" accueillent un dédale d’artefacts et de récits dont l’imagination n’a pas idée.
Ici, ni feuille de salle, ni cartels, mais un système d’étiquetage mentionnant le nom des artistes accompagné d’un code. Ce choix par défaut est dû au refus des curateur·ices d’écrire sur des pièces dont le caractère « trop inconnu et très imprévisible représente un vrai risque pour la pensée ». Sous la pression de "l’opening" et du jugement public – car une œuvre sans discours est-elle encore une œuvre ? – la direction s’est résolue à recycler le vieux système de nomenclature hérité du Muséum, datant de près d’un siècle. Ce qui n’est pas sans incidence, mais…
Sans doute que le véritable sens de l'exposition est à chercher ailleurs. Dans une intimité retrouvée à l’art.
À l’heure où l’installation design et technologique, les concepts d’humeur et de fluidité, médiatisent notre expérience artistique, "Cabinet institut" cherche à réintroduire le désir et l’intime dans la relation de proximité des spectateur·rices à l'œuvre. "Cabinet" n’est pas un environnement dans lequel on s’immerge ; il se présente comme un morcellement d’images et d’impressions sensibles devant être intentionnellement saisi.
Quant à son équipe — que vous aurez la chance de croiser au vernissage si elle daigne s’y rendre — elle rappelle par son geste, que le lieu d’art et l’écriture d’exposition sont le jeu de processus forts contraignants où l’aléatoire, évoquant le « hasard objectif » surréaliste (ce précipité du désir qui advient par la somme de coïncidences signifiantes), a parfois toute sa place.
Jeanne Turpault
(1) Marcel Broodthaers, Le Musée d’Art Moderne – Département des Aigles, 1968.
(2) Wesley Meuris, Public Art Center, 2012.
"Tu penses que ça va s’arranger ?" interroge les mécanismes de censure et l’effacement des récits LGBTQIA+. Gravée au centre d’un faux fond en bois, la phrase résonne comme un constat désenchanté, pointant l’illusion d’une résolution spontanée face à l’oppression. Une encoche discrète invite à l’exploration : en soulevant la latte, les spectateur·ice·s découvrent une édition, écrite par l’artiste et relatant l’histoire d’un amour homosexuel stigmatisé. Avec ce récit caché avec soin, la pièce devient un acte de réappropriation : le tiroir se mue en lieu de résistance. En confrontant l’effacement actif des récits LGBTQIA+, elle rappelle l’urgence de dévoiler, préserver et transmettre ces histoires.
Photographies : Romain Moncet